Bienheureuse Ingride
La B. M. INGRIDE
Fondatrice du Monastère de Schening, en Suède
(1355)
La B. Ingride naquit en Suède de parents très illustres, dans la province de Gothie, d'où sont sortis ces Goths si fameux dans l'histoire par leurs invasions, leurs conquêtes et par les ravages qu'ils ont causés en Italie. Elle vit le jour au bourg nommé Schening, à cause du fleuve Schena qui l'arrose. On remarqua en elle dès son enfance tant de retenue, de modestie et de vertu, une si grande dévotion envers la Sainte Vierge et envers saint Dominique, une affection si tendre envers les enfants de ce saint Patriarche, qui commençaient à paraître en Suède, qu'on la considérait déjà comme une fille extraordinaire, que la grâce élèverait plus tard à une haute sainteté.
Sa rare beauté, l'antiquité de sa noblesse et la réputation de sa vertu lui acquirent d'illustres prétendants, entre lesquels ses parents lui choisirent un jeune gentilhomme, autant digne d'elle par les belles qualités de son âme que par les biens de la fortune. La B. Ingride, qui ne souhaitait point d'autre époux que Jésus-Christ, fit tout ce qu'elle put pour obtenir de ses parents la liberté de lui consacrer sa virginité ; mais ne les ayant pu fléchir ni par ses prières ni par ses larmes, elle se soumit à leur volonté. Elle fut mariée à ce gentilhomme, sans cesser d'être l'épouse fidèle de Jésus-Christ, auquel elle avait donné toutes ses affections. Elle vécut dans cet état, aussi unie à Dieu, aussi détachée des créatures, aussi pauvre d'esprit au milieu des richesses et aussi mortifiée en toutes choses, que si elle eût été enfermée dans un cloître. A la voir si humble dans les grandeurs, si séparée des créatures dans le commerce du monde et animée d'un si généreux mépris des biens dans l'abondance, on ne doutait point que Dieu ne l'eût choisie pour être un jour un des plus beaux ornements de son Église.
En effet, Dieu, qui la voulait toute à lui, rompit bientôt les liens de cette nouvelle condition par la mort de son mari. Ses parents, la voyant si jeune, si belle et si riche, firent tous leurs efforts pour l'engager à de secondes noces. Elle ferma plus que jamais la porte de son cœur aux créatures, et s'adonna tout entière à l'oraison, aux exercices de piété et aux œuvres de miséricorde.
La pieuse veuve prenait un "goût singulier à méditer les mystères de la Passion de Jésus-Christ : ce qui alluma dans son âme un si grand désir d'aller visiter les Lieux saints, que, fermant les yeux à tous les périls auxquels des personnes de son sexe sont exposées en de semblables voyages, elle se mit en chemin avec quelques dames et quelques filles d'une grande piété. Avant d'arriver à Jérusalem, elles essuyèrent des fatigues incroyables, qu'elles offrirent généreusement à Dieu dans un esprit de pénitence et en action de grâces d'être rendues ainsi participantes des peines que Jésus avait endurées pour elles dans son extrême amour. Après avoir visité avec grande dévotion les lieux sanctifiés par la présence du Sauveur, elles s'embarquèrent pour Rome. Là, elles commencèrent par se prosterner au tombeau des saints apôtres Pierre et Paul, puis elles allèrent dans les endroits consacrés par le sang des martyrs, dans les plus célèbres églises, et jusqu'aux catacombes. De Rome elles passèrent en Espagne, en la province de Galice, dans le but d'aller à Compostelle honorer les reliques de l'apôtre saint Jacques.
Riche d'indulgences et de mérites, la B. Ingride retourna en Suède avec ses fidèles compagnes, pour se consacrer entièrement au service de Dieu dans quelque monastère.
Le démon, qui prévoyait son généreux dessein, résolut d'employer ses ruses et sa malice pour l'en empêcher. Il se déguisa en brillant cavalier, et feignant de venir de loin avec sa suite en belle livrée, il avertit les principaux habitants de Schening qu'il venait de rencontrer sur son chemin certaines femmes sorcières et magiciennes fort en désordre, ayant une nommée Ingride à leur tête ; qu'au reste, ils se donnassent bien garde de les laisser entrer, de peur qu'elles ne désolassent et ne ruinassent le pays par leurs enchantements, qu'elles ne corrompissent leur jeunesse et qu'elles n'empoisonnassent leurs; rivières ou leurs puits par des sortilèges diaboliques.
Ces bonnes gens, étrangement surpris d'entendre des choses si horribles, firent le signe de la croix, pour exprimer leur crainte et leur étonnement. Mais le démon, ne pouvant souffrir la vertu de ce signe adorable, disparut avec ceux de sa suite : ce qui fit connaître l'artifice de cet esprit de ténèbres, et la grande vertu de la Bienheureuse Ingride, que ce démon déguisé décriait par de si noires calomnies. Les habitants de Schening furent au-devant d'elle, la reçurent avec joie ; et ayant appris la résolution où elle était de bâtir un monastère pour y servir Dieu le reste de ses jours avec ses compagnes, ils y contribuèrent par leurs libéralités. Bzovius dit que le roi de Suède lui fit présent d'une somme d'argent considérable pour ce pieux dessein et qu'elles choisirent l'Ordre et les Constitutions de saint Dominique. La Bienheureuse Ingride y vécut dans une pratique admirable de toutes les vertus et dans de grandes austérités ; elle mourut en odeur de sainteté dans l'année 1255.
Les habitants de Schening, persuadés de sa sainteté, la prirent pour leur patronne particulière et pour leur protectrice auprès de Dieu. Les miracles que Dieu fit par elle durant sa vie et après sa mort arrivèrent en si grand nombre que sa cause fut portée au Concile de Constance. Le Pape Martin V, élu en 1418, ordonna, la même année, par une bulle expresse, les informations juridiques.
L'éloignement de ces pays septentrionaux et la négligence des écrivains ont dérobé à notre connaissance mille autres particularités des vertus de cette grande sainte et de son monastère, qui fut saccagé et démoli par les hérétiques en l'année 1600.